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Aux origines du Régime volontaire d’épargne-retraite (RVER)

Riel Michaud-Beaudry, Observatoire de la retraite

L’une des plus récentes innovations en matière de retraite au Québec est le Régime volontaire d’épargne retraite (RVER). Bien qu’il ait été fortement appuyé par le gouvernement du Québec au cours des dernières années, la pertinence et l’efficacité réelle de ce type de régime ont soulevé plusieurs questionnements. Nous proposons ici de faire un pas de recul pour mieux comprendre l’origine et les motifs généraux derrière la mise en place du RVER, qui fait partie de la grande famille des régimes à adhésion automatique. Ces régimes, dont font partie le RVER ainsi que le Régime de pension agréé collectif (RPAC) au Canada, ont gagné en importance parmi plusieurs juridictions dans les dernières décennies. Répondant à l’objectif d’accroître la couverture des travailleurs par des régimes de retraite, leur popularité est cohérente avec les tendances lourdes observées à l’échelle internationale en matière d’épargne-retraite.

Les régimes à adhésion automatique au Québec et au Canada

Aller aux sources du RVER, c’est comprendre d’abord qu’il constitue la version québécoise modifiée du RPAC, mis en place au Canada au cours de la dernière décennie. Le RPAC est un régime à cotisations déterminées où les cotisations patronales ne sont pas obligatoires. Le fait que les cotisations d’employeurs ne soient pas obligatoires avec les RPAC est l’un des principaux motifs expliquant pourquoi ils ont été retenus par les ministres des Finances des provinces et des territoires du Canada[1]. Depuis 2012, les RPAC peuvent en effet être proposés par les employeurs sous juridiction fédérale et utilisés par les provinces intéressées. Ainsi, en vertu de l’Accord multilatéral sur les régimes de pension agréés collectifs et les régimes volontaires d’épargne-retraite (RVER), les provinces signataires comme l’Ontario, la Colombie-Britannique, la Nouvelle-Écosse, le Manitoba, la Saskatchewan et le Québec ont pu le proposer aux travailleurs de leur territoire. En 2018, les avoirs des 111 participants des cinq RPAC au Canada totalisaient environ 150 000 $ d’actifs[2].

Annoncés dès le budget du gouvernement du Québec de 2011-2012, les principes et caractéristiques de base du RVER ont été approuvés par le Comité d’experts sur l’avenir du système de retraite québécois (Commission D’Amours), ce qui a mené à l’entrée en vigueur de la Loi sur les régimes volontaires d’épargne-retraite en 2014. La principale différence entre le Québec et les autres provinces signataires de l’Accord est que les employeurs québécois qui comptent plus de cinq employés devront, à une date déterminée par le gouvernement, offrir le RVER ou une autre façon similaire pour leurs employés d’épargner pour leur retraite. L’exemple le plus courant est l’offre d’un Régime enregistré d’épargne-retraite (REÉR) collectif. Cela, contrairement aux employeurs des autres provinces canadiennes, qui ne sont pas contraints d’offrir ce type de régime à leurs employés[3]. Selon Retraite Québec, au 30 juin 2018, environ 84 000 participants à un RVER se partageaient les 92 millions de dollars d’actifs[4].

Les régimes à adhésion automatique à l’international

Il est important de resituer ces innovations institutionnelles de la retraite dans leur contexte international. Avec le RPAC, le Canada a rejoint les rangs des pays ayant proposé des réformes dont l’objectif affiché est l’amélioration de la couverture des régimes de retraite parmi les travailleurs. Mais aussi l’augmentation du niveau de remplacement du revenu d’une population de moins en moins couverte par un régime complémentaire de retraite. Par exemple, la Nouvelle-Zélande et le Royaume-Uni ont tous deux mis en place des régimes à cotisations déterminées à adhésion automatique pour les travailleurs et travailleuses n’étant pas couverts par un régime complémentaire de retraite similaire ou approuvé[5][6]. Le Chili a, quant à lui, décidé de cibler les travailleurs autonomes comme segment particulier de la population active, tandis que le Brésil cible spécifiquement les employés du secteur public[7]. Les pays émergents mettent aussi en place de tels régimes dans le but de faire face au vieillissement projeté de leur population[8].

Une liste non exhaustive de pays autorisant ou obligeant les employeurs à mettre en place des régimes à adhésion automatique est présentée dans le tableau 1. D’autres pays ont plutôt préconisé l’obligation d’adhérer à un régime privé ou complémentaire, où les employeurs ont la responsabilité d’y inscrire leurs employés et d’y verser des cotisations (Australie en 1992) ou encore de les mettre en place (Norvège en 2006) [9].

Outre l’objectif d’améliorer la couverture des régimes privés et le taux de remplacement du revenu, et ce dans un contexte où la générosité des régimes publics diminue, plusieurs autres considérations ont fortement concouru à façonner les régimes à adhésion automatique. Par exemple, le vœu de ne pas accumuler de passifs dans les caisses, de limiter les risques pour les employeurs et de contenir les dépenses publiques a encouragé ces pays à mettre en place des régimes privés à cotisations déterminées[10][11]. Aussi, le déclin des régimes d’employeurs, l’inefficacité des incitatifs fiscaux traditionnels et l’aversion d’une frange de la population et des employeurs pour les régimes obligatoires ont conduit des juridictions à privilégier des régimes à adhésion automatique où existe une option de retrait pour les cotisants et les cotisantes[12][13][14][15].

Généralement, des taux de cotisation minimaux sont imposés avec des options de placement par défaut dans des portefeuilles de type « cycle de vie », c’est-à-dire que le risque et le rendement diminuent avec l’âge des participants. Dernièrement, l’instauration de mesures simples et peu coûteuses pour les employeurs permet de lever certains obstacles qui existaient auparavant, améliorant leur réception par le milieu des employeurs et augmentant ainsi la couverture des régimes de retraite privés[16]. RVER et RPAC s’inscrivent dans cette lignée. Pour résumer, le tableau 2 présente les caractéristiques générales des régimes à adhésion automatique.

Des critiques ont évidemment été émises envers ce type de régimes. Alors que l’instauration de KiwiSaver en Nouvelle-Zélande venait en même temps que la réduction du programme de soutien au revenu Superannuation (l’équivalent de notre Supplément de revenu garanti), d’aucuns y ont vu une tentative de privatiser le filet de sécurité sociale[17]. L’Australie a, quant à elle, dû mettre sur pied une commission d’enquête sur les mauvaises conduites du secteur bancaire et l’administration de fonds du programme Superannuation[18].

Dans le cas du Québec, si une étude de l’Institut de la statistique du Québec est en cours pour mesurer l’incidence de la Loi sur les régimes volontaires d’épargne-retraite sur la participation des employeurs, les impacts des RVER sur la couverture par un régime sont encore inconnus. De plus, même limités à 1,25 % pour les options par défaut, les frais de gestion sont largement supérieurs à ceux des régimes à prestations déterminées ou des régimes publics[19]. Dernièrement, les défauts inhérents à l’épargne individuelle confiée uniquement au secteur privé, comme le risque de longévité, la stratégie inefficiente de gestion des actifs et le peu d’investissements domestiques sont pointés du doigt[20][21][22]. Ainsi, malgré l’augmentation de la couverture qu’ils peuvent offrir, les régimes à adhésion automatique ne sont pas une panacée et ne peuvent se substituer aux régimes publics obligatoires[23].

Conclusion

En conclusion, les régimes à adhésion automatique, comme le RVER, sont le fruit d’une évolution internationale et d’un contexte économique et démographique particulier. Ils visent entre autres à augmenter le niveau d’épargne personnelle et à étendre la couverture des régimes privés aux franges de la population ne bénéficiant pas d’un régime complémentaire de retraite en encourageant les travailleurs à y cotiser. Pour les employeurs québécois, il s’agit d’un nouvel outil pour faire adhérer les employés à un régime de retraite parmi les autres types de régimes développés ou proposés dans les dernières années, comme les régimes de retraite par financement salarial ou les régimes à prestations cibles multiemployeurs. Cela dit, cette innovation présente d’importantes limites et s’inscrit dans un mouvement plus général de retrait des employeurs du financement des régimes et du partage des risques.


[1] Ministère des Finances du Canada. (2011). Fiche d’information : Le contexte du système de revenu de retraite au Canada. Repéré à : https://www.fin.gc.ca/n11/data/11-119_1-fra.asp

[2] Bureau du surintendant des institutions financières Canada. (2018). Rapport annuel du BSIF 2017-2018, 2018

[3] Morneau Shepell. Qu’est-ce qu’un RVER/RPAC. Repéré à : https://rver.morneaushepell.com/quest-quun-rverrpac#FED

[4] Gamache, S. (2018). Portrait des régimes complémentaires de retraite au Québec, Colloque de l’Observatoire de la retraite. Repéré à : http://observatoireretraite.ca/wp-content/uploads/2018/09/2_Stephane_Gamache.pdf

[5] Inland Revenue, KiwiSaver evaluation: Final summary report, 2015

[6] OECD (2014), OECD Pensions Outlook 2014, OECD Publishing

[7] Rudolph, H., P. (2019). Pension Funds with Automatic Enrollment Schemes: Lessons for Emerging Economies. Policy research working paper 8726. Repéré à: https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=3335093

[8] Richard Jackson, Voluntary Pensions in Emerging Markets : New Strategies for Meeting the Retirement Security Challenge, 2017.

[9] Marier, P. (2010). Improving Canada’s Retirement Saving: Lessons from Abroad, Ideas from Home, IRPP Study, 9.

[10] Finances Québec, Les Québécois et leur retraite : Pour des régimes accessibles à tous, Budget 2012-2013, 2012

[11] Ministère des Finances du Canada, Fiche d’information : Comment les régimes de pension agréés collectifs combleront les lacunes du système de revenu de retraite du Canada

[12] Orazio P. Attanasio, James Banks and Matthew Wakefield, Effectiveness Of Tax Incentives To Boost (Retirement) Saving: Theoretical Motivation And Empirical Evidence, 2005, OECD Economic Studies No. 39, 2004/2

[13] The Stationery Office, Pensions : Challenges and Choices The First Report of the Pensions Commission, 2004

[14] Insurance Ireland, A universal Pension for Ireland, 2016

[15] Inland Revenue, KiwiSaver Evaluation : Final summary report, 2015

[16] Ministère des Finances du Canada, Fiche d’information : Comment les régimes de pension agréés collectifs combleront les lacunes du système de revenu de retraite du Canada. Repéré à : https://www.fin.gc.ca/n11/data/11-119_2-fra.asp

[17] Perinpanayagam, U. (n.d.). KiwisaverL A Trojan Horse for Pension Privatisation in New Zealand?. Repéré à: http://www.converge.org.nz/watchdog/37/09.html

[18] Mtaasuper (février 2019).The Royal Commission and Superannuation. Repéré à : https://mtaasuper.com.au/about-us/news-and-updates/the-royal-commission-and-superannuation

[19] HOOPP (2018). The Value of a Good Pension: How to improve the efficiency of retirement savings in Canada. Repéré à: https://hoopp.com/docs/default-source/about-hoopp-library/advocacy/the-value-of-a-good-pension-102018.pdf

[20] Lizée, M. (2013). La crise des régimes de retraite et la négociation collective : pour un meilleur équilibre conciliant sécurité des prestations et contrôle du risque et des coûts. Repéré à : https://sac.uqam.ca/upload/files/publications/syndicat/2015/Lizee_crise%20des%20regimes%20de%20retraite.pdf

[21] Otago Daily Times. Key concedes value in slicing KiwiSaver fees. 8 Novembre 2011. Repéré à : https://www.odt.co.nz/news/politics/key-concedes-value-slicing-kiwisaver-fees

[22] Peters, W. (2016). Stop the Billion Dollar Kiwisaver Rort, Introduce Kiwifund. Repéré à : http://business.scoop.co.nz/2016/06/30/stop-the-billion-dollar-kiwisaver-rort-introduce-kiwifund/

[23] Rudolph, H., P. (2019). Pension Funds with Automatic Enrollment Schemes: Lessons for Emerging Economies. Policy research working paper 8726. Repéré à: https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=3335093