Gérer le risque d’équité intergénérationnelle dans nos régimes de retraite : une façon de préserver un certain niveau de protection sociale ?
Claudia Gagné, Professeure adjointe, Département de mathématiques et statistique, Université de Montréal
L’équité intergénérationnelle constitue un enjeu faisant l’objet de beaucoup d’attention depuis quelques années. De façon générale, le sujet devient très délicat lorsque des choix difficiles s’imposent. Dans le contexte des régimes de retraite, cette situation survient, par exemple, lorsqu’un déficit doit être absorbé et qu’une génération (généralement plus jeune) perçoit qu’elle est moins bien protégée qu’une autre génération (généralement plus vieille).
Qu’un régime de retraite soit public ou qu’il soit supporté par un ou des employeurs, l’objectif de sécurité sociale lié à sa mise en place est fondamental. Le régime comporte des bienfaits importants pour l’ensemble de la population (sécurité du revenu à la retraite, protection de la capacité de dépenser, fardeau moindre sur la famille entourant le retraité, etc.). Cependant, l’apparition de l’iniquité intergénérationnelle, lorsqu’elle atteint un certain niveau, peut avoir des effets indésirables dépassant l’iniquité elle-même, notamment le désengagement potentiel des participants envers leur régime. Le maintien d’un niveau élevé d’équité intergénérationnelle s’avère donc un contributeur important au maintien de la sécurité sociale dans son ensemble.
Un contexte favorisant la perception d’iniquité
La situation financière des régimes de retraite s’est détériorée de façon importante depuis le début des années 2000. Le vieillissement de la population, reflété de façon évidente par une proportion décroissante des participants actifs par rapport aux participants retraités, combiné à la baisse constante des taux d’intérêt constituent des facteurs importants ayant causé des déficits. De plus, les conséquences du vieillissement de la population sont exacerbées par une longévité croissante. Cette amélioration de la longévité constitue un enjeu très important pour les régimes de retraite devant verser des rentes sur des horizons plus longs que ce qui était prévu.
Lorsque le niveau des déficits est tel que des baisses de prestations ou des hausses de cotisations deviennent nécessaires, l’enjeu de l’équité intergénérationnelle apparaît rapidement dans les discussions reliées à ces décisions. Quels participants subiront les baisses de prestations ou les hausses de cotisations ? Bien que d’excellentes raisons puissent justifier le maintien du niveau des prestations des participants retraités, ce maintien occasionne inévitablement de l’iniquité intergénérationnelle, ou du moins la perception d’une certaine iniquité.
Le partage de surplus peut aussi affecter l’équilibre intergénérationnel, par exemple suite à des améliorations des prestations. Curieusement, l’iniquité semble mieux acceptée lorsque les discussions portent sur le partage d’un surplus et non d’un déficit. Cet enjeu n’est donc pas récent, mais se manifeste de façon plus évidente en présence de déficit, le sacrifice semblant plus important dans ce cas.
Différentes formes que peut prendre le sentiment d’iniquité
La perception d’iniquité, intergénérationnelle ou non, survient lorsque l’une ou l’autre des situations suivantes est identifiée :
- L’un paie plus que l’autre (coût trop élevé);
- L’un obtient moins que l’autre (récompense trop faible);
- L’un paie plus que l’autre pour ce qu’il obtient (coût / récompense trop faible);
- L’un obtient moins que l’autre pour le risque qu’il prend (prime de risque trop faible).
- Augmentation du coût moyen par épargnant;
- Protection individuelle de la longévité très coûteuse, le moment du décès étant beaucoup moins prévisible pour un individu que pour un groupe d’individus
- Frais de gestion élevés pour les produits individuels de placement
- Planification de la retraite non-optimale due à un niveau de littératie financière très variable d’un individu à l’autre et très faible dans l’ensemble de la population (voir l’édition d’avril 2014 de « Voir au-delà du risque » publiée par l’Institut canadien des actuaires, dans la section Ressources).
- Définition du risque
- Mesure du niveau d’iniquité
- Établissement d’une cible et d’une zone de tolérance
- Suivi de l’évolution du risque
- Apport de modifications si le risque mesuré se retrouve au-dessus du niveau toléré
- Le processus doit faire l’objet d’une entente entre les différentes parties (promoteur, participants, fiduciaires) ;
- La cible et la zone de tolérance doivent être réalistes et fonction de la solidarité des participants;
- un niveau d’iniquité nul ne peut pas être atteint
- une plus grande solidarité parmi les participants permet une tolérance plus grande
- La méthode de mesure du risque doit être claire et facile d’interprétation, par exemple en évaluant les écarts, entre les cohortes, des mesures suivantes2:
- Ratio prestations totales / cotisations totales
- Ratio cotisations totales / rente annuelle
- Taux de rendement interne sur les cotisations
- Modifications au régime, si nécessaires, doivent être prévues;
- suite au constat d’une trop grande iniquité, les correctifs devraient être établis en amont et inscrits dans une politique
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Notons qu’un type de régime comme celui des prestations cibles, prévoyant l’ajustement des prestations selon la situation financière du régime, et permettant une grande mutualisation des risques, n’en est qu’à ses balbutiements. La législation de la plupart des provinces ne permet pas encore de mettre en place ce type de régime.
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Mesures tirées de « Les démarches proactives et préventives dans la sécurité sociale – soutenir la viabilité », J.-C. Ménard, A. Billig, O.B. Sorensen, F. Léger, Forum mondial de la sécurité sociale, 2013.