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La finance responsable au Québec en 2016 : la moitié des actifs s’en réclame

Claude Dostie Jr., Chargé de projet, IRÉC L’IRÉC a récemment publié le quatrième portrait de la finance socialement responsable (FSR) au Québec. À travers les années, plusieurs organisations et personnes ont soutenu cette entreprise unique de recherche et de caractérisation de la finance responsable. Encore aujourd’hui, ce portrait demeure la seule évaluation rigoureuse dans ce domaine au Québec, placement et investissement responsables confondus. Pour la première fois, c’est l’IRÉC qui a été responsable de mener l’entièreté du portrait à son terme grâce aux collaborations de CAP finance et du Réseau PRI Québec. Depuis le premier portrait de la FSR, produit en 2006, nous avons adopté un classement de la finance responsable qui diffère légèrement du classement généralement utilisé dans le milieu de l’investissement responsable. Au cours de cette démarche, nous avons préféré utiliser le concept de finance socialement responsable à tous les autres, parce qu’il permet de distinguer les deux grands types de pratiques de ce mouvement : le placement (sur les marchés financiers) et l’investissement (l’intervention financière directe dans des entreprises). Le placement renvoie aux grands détenteurs d’actifs ou aux gestionnaires de portefeuilles tandis que l’investissement touche les acteurs du capital de développement (fonds de travailleurs, entités publiques régionales et locales, etc.) et de la finance solidaire, soit les acteurs de l’économie sociale au Québec (p.ex. la Caisse d’économie solidaire). La finance responsable est de plus en plus vue dans nos sociétés comme étant une force positive, mais aussi rentable. La conscientisation croissante face aux phénomènes de délocalisation, de financiarisation ou de changements climatiques a mené les analystes et les investisseurs à voir la gestion des enjeux économique, sociaux et de gouvernance (ESG) comme des opportunités pour mieux gérer les risques financiers. Comme l’indique le tableau suivant, les actifs de la finance responsable au Québec n’ont cessé de progresser depuis 2010. Même après le recul important des actifs du placement dans la foulée de la crise financière de 2008-2009, les montants investis en FSR sont passés, en 10 ans, de 198 milliards à 457 milliards de dollars, soit une augmentation de 131 %. Placement responsable La part du lion de la finance responsable est occupée par le placement. Le total brut des placements responsable au Québec atteignait en 2016 quelque 443 milliards de dollars. Cela représente une croissance de 61 % des placements responsables depuis 2013, alors qu’ils se situaient à 275 milliards de dollars. Entre 2010 et 2013, la croissance avait été de l’ordre de 70 %. Évidemment, la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ) pèse encore très lourd dans les actifs responsables québécois, malgré que sa contribution soit en diminution relative. Avec 270,7 milliards de dollars d’actifs, la CDPQ représente dans ce 4e portrait 61 % de tous les actifs en placements responsables au Québec alors que, dans les portraits de 2006, de 2010 et de 2013, elle représentait respectivement 73,9 %, 71,2 % et 72,9 % des actifs évalués comme responsables. Évidemment, il faut prendre ces chiffres avec discernement. Dans le cadre de notre cueillette d’informations, nous compilions tous les actifs d’une institution financière qui s’est dotée d’une politique formelle de prise en compte des facteurs ESG comme étant responsables. Or, la réalité est beaucoup plus nuancée. Cela dit, personne ne prétend que la situation est parfaite. La vigilance doit être de mise pour que la finance responsable puisse innover et apporter des solutions originales aux problèmes financiers de notre temps. Les discussions entre les parties prenantes, qui sont à la base des principes de la finance responsable, reste par ailleurs essentielle pour un développement raisonné. Dans le cadre du sondage que nous avons mené, les trois quarts (74 %) de nos répondants ont affirmé avoir mis en œuvre une stratégie en matière de placement responsable. La gestion de risque demeure par ailleurs la plus importante raison pour laquelle les répondants affirment considérer les facteurs ESG dans leurs décisions de placement. Les critères ESG les plus souvent considérés sont l’empreinte carbone, les droits de la personne et la représentation sur le conseil d’administration. Le tabac et l’armement sont les deux « produits » qui sont le plus souvent exclus des placements par nos répondants. Plusieurs de nos répondants ont par ailleurs affirmé compter les pratiques de dialogue dans leurs stratégies de placement. Une quinzaine d’entre eux ont affirmé avoir été en dialogue avec des entreprises en 2016, le nombre de ces dernières variant de 3 à 451. Sept ont proposé ou ont été parties prenantes de résolutions d’actionnaires en 2016, et 17 sont actuellement dotés d’une politique de droit de vote. Cinq ont opté pour une stratégie de désinvestissement en 2016. Les deux principaux enjeux invoqués lors des pratiques de dialogue ont été les salaires des dirigeants et les émissions de gaz à effet de serre. Investissement responsable Globalement, les actifs et les investissements de l’investissement responsable au Québec ont progressé rapidement depuis notre dernier portrait en 2013, passant de quelque 11,1 milliards à 14 milliards de dollars, soit une hausse de 26 %. Alors que la composante de la finance solidaire augmentait ses actifs de 32 % entre 2013 et 2016, passant de 617 millions à 812 millions de dollars, les investissements de la composante du capital de développement passaient de 10,5 milliards à 13,2 milliards, soit une hausse de 26 %. Le développement local et régional demeure, et de loin, la préoccupation principale de nos répondants, qu’ils soient issus du domaine du capital de développement ou de la finance solidaire. L’intervention en entreprise par les acteurs de l’investissement responsable se fait en général aux mêmes stades pour les deux composantes, surtout aux stades de démarrage, d’expansion et de consolidation. La finance solidaire intervient plus que le capital de développement en phase de prédémarrage, mais le capital de développement est plus mobilisé que la finance solidaire dans une situation de redressement. Les entreprises financées sont en général dans les mêmes catégories. Les microentreprises, les coopératives et les organismes à but non lucratif (OBNL) sont les trois types d’entreprises les plus susceptibles d’obtenir de l’aide autant de la composante finance solidaire que de celle du capital de développement. Du côté des formes de financement, on constate que les prêts garantis font partie, pour les deux composantes, des formes de financement les plus généralement offertes par les répondants. Cela dit, en pratique, le secteur de la finance solidaire est davantage porté à réaliser des prêts non garantis, tandis que le secteur du capital de développement fait un plus grand usage des prêts participatifs. Nous avons identifié les secteurs d’intervention (SCIAN) pour une partie significative des investissements. Le capital de développement est dirigé surtout vers la fabrication (plus de 45,5 %) tandis que ce secteur n’occupe que 1,5 % du financement de la finance solidaire. Le secteur du logement occupe 56,1 % du financement de la finance solidaire tandis qu’il n’engage que 1,9 % des ressources en capital de développement. Conclusion La finance socialement responsable au Québec se porte bien. Les deux composantes ont poursuivi leur croissance depuis le dernier portrait en 2013. Ce quatrième portrait de la finance responsable, comme les précédents, visait autant à décrire les pratiques de la FSR qu’à provoquer une discussion sur l’avenir de ces pratiques. Ce rapport contribue non seulement à construire cette compréhension que les acteurs ont de leurs propres pratiques, mais il entraîne nécessairement une prise de conscience sans cesse grandissante, dans l’espace public, de la finance responsable. Si cette dernière est venue recréer des liens entre les enjeux financiers et les autres enjeux sociaux ou environnementaux, si elle est venue en quelque sorte refaire le pont entre la finance et la « société », il ne faudra pas s’étonner qu’elle fasse l’objet d’une préoccupation croissante par cette même société.