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La nécessité d’élargir le débat. Remarques à partir de l’article « Quel mécanisme d’indexation pour le Supplément de revenu garanti », de Riel Michaud-Beaudry

Ruth Rose, Professeure associée, Département de sciences économiques, Université du Québec à Montréal L’argument central de l’article « Quel mécanisme d’indexation pour le Supplément de revenu garanti », publié dans le précédent Bulletin de la retraite, est à l’effet que l’indexation de ce programme à l’indice des prix à la consommation (IPC) n’est pas suffisante « pour assurer la durabilité du pouvoir d’achat des ménages à faible revenu ». Monsieur Michaud-Beaudry suggère qu’il faudrait plutôt « arrimer les programmes de soutien de revenu comme le Supplément de revenu garanti (SRG) ou l’assistance sociale pour qu’ils couvrent davantage les produits et services de base, un peu comme ce que fait la méthode de calcul de la MPC au niveau régional ». Monsieur Michaud-Beaudry a raison de soulever l’insuffisance de l’indexation du SRG pour maintenir le pouvoir d’achat des plus pauvres. Toutefois, si l’on veut résoudre ce problème convenablement, il faudrait cibler non seulement le SRG, mais l’ensemble des régimes publics de retraite. Le Supplément de revenu garanti crée une « trappe de pauvreté » Rappelons qu’en 2017 le SRG, combiné à la Pension de la sécurité de la vieillesse (PSV), un programme quasi-universel, fournit un revenu minimum garanti de 17 311 $ à une personne seule. De ce minimum, le SRG compte pour 60 %. Les couples ont droit à 26 368 $, dont 47 % proviennent du SRG puisque chaque membre du couple a droit à la PSV. Seules certaines personnes ayant immigré depuis moins de 10 ans n’ont pas droit au revenu minimum. L’importance du SRG dans ce revenu de base crée une « trappe de pauvreté » parce qu’il est réduit de 50 % des premiers 2 040 $ reçus d’autres sources et de 75 % des revenus qui se situent entre 2 040 $ et 8 432 $ (seuils différents pour les couples). Les revenus qui dépassent 8 432 $, jusqu’à un niveau de 17 544 $, font encore diminuer le SRG de 50 %[1]. De plus, cette dernière tranche de revenu est assujettie aux impôts réguliers, normalement 28,5 % au Québec. Le taux de récupération est alors d’au moins 78,5 %. En raison de ces taux élevés de récupération, il est très difficile de s’éloigner du minimum. Par exemple, un homme qui reçoit une rente du Régime de rentes du Québec (RRQ) de 7 200 $ (soit la rente moyenne des hommes en 2017[2]) en retiendra l’équivalent de moins du tiers de la somme pour laquelle il a cotisé toute sa vie. Son revenu disponible sera de 19 615 $ – seulement 2 304 $ de plus que le minimum. Les deux-tiers de sa rente retourneront au gouvernement fédéral sous forme d’une réduction du SRG. Pire, les prochains 10 344 $ sont encore récupérés à un taux d’au moins 50 %. Pour les femmes, dont la rente moyenne à 65 ans n’est que de 5 434 $, la situation est encore pire. Pour vulgariser, on peut comparer notre système de retraite public à un site de construction. La PSV est comme de la roche – on peut compter dessus – et sert de fondation. Le SRG est une forme de boue qui flotte par-dessus, mais qui n’est pas très solide. Si on tente de construire notre maison de retraite sur ce site en utilisant les rentes du Régime de rentes du Québec (RRQ), nos régimes complémentaires ou l’argent provenant des Régimes enregistrés d’épargne retraite (REER) ou d’ailleurs, on est confronté à une mauvaise surprise. Ces fonds agissent comme des pilons qui doivent passer à travers la boue pour rejoindre la roche solide. Jusqu’à 80 % servent à remplacer la boue au lieu de faire croitre la maison. En 2014, 48 % des Québécoises âgées de 65 ans et plus ainsi que 36 % des Québécois étaient assez pauvres pour recevoir le SRG. Dans l’ensemble du Canada, les proportions étaient de 37 % des femmes et de 28 % des hommes[3]. Maintenir le pouvoir d’achat des trois régimes publics Actuellement, la PSV est aussi indexée à l’IPC du Canada. Quant au RRQ, le maximum des gains admissibles (MGA) et les crédits de rentes sont revalorisés chaque année en fonction de la croissance de la rémunération hebdomadaire moyenne (RHM). Cette approche permet aux rentes éventuelles de suivre non seulement la hausse du coût de la vie, mais aussi la croissance de la richesse et de la productivité au Canada. Par contre, une fois servies, les rentes sont indexées uniquement à un indice des rentes lié à l’IPC. En raison de ces règles d’indexation, les revenus des personnes âgées ne suivent pas ceux des autres Canadiennes et Canadiens et l’écart grandit avec l’âge ; donc, les femmes, qui vivent en moyenne plus longtemps que les hommes, sont les plus affectées. De plus, la part de la PSV dans les revenus diminue continuellement, comme l’a souligné le Rapport D’Amours. Ce rapport estime qu’en 2052, la PSV et le SRG combinés ne remplaceront que 13 % d’un salaire de 40 000 $, alors qu’ils comptaient pour 26 % en 2012[4]. En 1988, c’était 35 %[5]. En août 2017, il n’est toujours pas clair que le gouvernement Couillard suivra le reste du Canada pour accroître le taux de remplacement du RRQ à 33,3 %. Même s’il le fait, il s’agit d’une hausse très modeste et les pleins résultats ne se feront pas sentir avant 50 ans. Entretemps, de plus en plus d’employeurs, surtout dans le secteur privé, sont en train de terminer leurs régimes complémentaires ou de convertir les régimes à prestations déterminées en régimes à cotisation déterminée tout en réduisant le niveau de la cotisation patronale. L’ensemble de ces tendances laissent présager une chute relative des revenus des personnes à la retraite. Les gouvernements (et les médias en conséquence) continuent d’insister sur le fait qu’il est de la responsabilité des individus d’épargner pour la retraite. Il est pourtant difficile – voire impossible – pour le commun des mortels de trouver une façon de cumuler suffisamment d’argent au moyen des Régimes enregistrés d’épargne retraite (REER), car les frais élevés et la nécessité de gérer les placements de façon conservatrice, surtout après l’âge de 50 ans, font en sorte que les taux de rendement nets sont souvent inférieurs même à l’IPC. La création des Régimes volontaires d’épargne retraite (RVER) a réduit les frais de gestion un peu, mais ne résout pas le problème fondamental que l’individu doit supporter seul les risques de longévité et de volatilité des marchés financiers. Ces difficultés s’ajoutent au fait que, comme on l’a démontré, les efforts des individus sont largement anéantis par un programme de revenu minimum dont une si grande partie est accordée sous condition de ressources. Quel taux d’indexation ? Le graphique ci-dessous illustre les taux de croissance de divers indices entre 2002 et 2015[6]. La Mesure du panier de consommation (MPC) de Montréal a augmenté de 48 %. Monsieur Michaud-Beaudry souligne que cet indice reflète la hausse du coût des biens consommés réellement par les plus pauvres mieux que l’IPC du Canada. En effet, l’IPC a crû de seulement 27 %, tout comme la PSV. Toutefois, la MPC est calculée pour chaque localité et il faudrait plutôt trouver un indice pour les moins nantis qui s’applique à l’ensemble du Canada. Afin d’améliorer le sort des plus pauvres, le gouvernement fédéral a bonifié le SRG à plusieurs reprises, notamment en 2006, 2012 et 2016. En raison de ces bonifications, le revenu minimum offert par le SRG et la PSV a augmenté de 37 % pour une personne seule et de 36 % pour un couple entre 2002 et 2015. À cela s’ajoute l’augmentation de 11,5 % en 2016, accordée seulement aux personnes seules. Soulignons qu’en 2012 et 2016, l’augmentation a pris la forme d’un supplément récupéré à un taux de 25 %. Celui-ci s’ajoute au taux de 50 % pour le SRG de base, d’où le taux de récupération totale de 75 %. En conséquence, les plus pauvres ont bénéficié de ces bonifications, mais les personnes ayant des revenus autres que la PSV supérieurs à environ 8 000 $ n’en ont pas vu la couleur. Le graphique indique également que la rémunération hebdomadaire moyenne (RHM) a augmenté de 42 % au Canada et de 37 % au Québec. Indexer les trois régimes publics à la croissance de la RHM canadienne donnerait de meilleurs résultats qu’une indexation à l’IPC et assurerait que les personnes âgées participent à la croissance généralisée de la richesse. Sur la période en question, la MPC-Montréal a augmenté plus rapidement que la RHM, mais ce n’est pas toujours le cas. C’est la croissance des coûts des aliments et du logement qui a été particulièrement forte entre 2002 et 2015, alors que ces coûts ont augmenté moins rapidement que les autres composantes de l’IPC dans la période avant 2002[1]. Si on indexait seulement le SRG à un indice basé sur la consommation des plus pauvres, sans inclure la PSV, le revenu minimum garanti par ces deux programmes ne suivrait toujours pas les coûts pour les plus pauvres. De plus, on aggraverait la trappe de pauvreté créée par le SRG. On aurait essentiellement le même résultat que l’approche de bonification ad hoc du gouvernement, à la différence que les augmentations seraient régulières et automatiques. Peut-on se payer une meilleure indexation de la PSV ? En janvier 2017, 5 854 460 personnes âgées recevaient la PSV ou environ trois fois les 1 897 529 qui recevaient le SRG[2]. Puisque la PSV est quasi-universelle, seuls environ 10 % des personnes âgées dont le revenu dépasse 74 788 $ en 2017 ne reçoivent qu’une partie ou rien du tout. Indexer davantage la PSV serait, donc, plus coûteux qu’une meilleure indexation du SRG. Le coût d’un programme universel a toujours fait l’objet de débats dans la conception des régimes publics de retraite au Canada. En 1927, le gouvernement a plutôt opté pour un programme d’assistance à frais partagés avec les provinces. Toutefois, après la guerre, les tests de revenus et d’actifs associés à ce programme étaient perçus comme humiliants et répressifs. En 1951, un large consensus des partis politiques et des provinces a donné lieu à la création du programme universel de sécurité de la vieillesse pour les personnes âgées d’au moins 70 ans, accompagnée d’un programme d’assistance-vieillesse pour les 65 à 69 ans. En 1965, lors de la création du RRQ/RPC, la PSV reprenait l’engagement de maintenir un programme universel en abaissant l’âge d’admissibilité de 70 à 65 ans sur une période de cinq ans. Le SRG devait s’ajouter à cette base universelle, mais on s’attendait à ce qu’il devienne caduc à mesure que le RRQ/RPC prendrait de la maturité. Les régimes complémentaires et l’épargne individuelle devaient aussi contribuer à assurer le maintien du niveau de vie après la retraite. Manifestement, cette prédiction ne s’est pas réalisée, puisque le SRG demeure important et que les gouvernements successifs ont senti le besoin de le bonifier au cours des années. Le RRQ/RPC a été coupé en 1998 et le fait que la grande majorité des personnes le demandent avant 65 ans fait en sorte qu’il ne remplace pas réellement 25 % du salaire. En 1951 et 1965, la société canadienne a opté pour un programme universel comme fondation des programmes publics de retraite et comme droit de citoyenneté. En indexant la PSV au même rythme que la rémunération moyenne, on maintiendrait le niveau de la roche sur laquelle nous avons construit notre maison au lieu de laisser nos personnes les plus âgées s’enliser davantage dans la boue. Prévenir la pauvreté chez les personnes âgées aurait aussi pour effet de stimuler l’économie et de créer plus d’emplois pour les jeunes et les personnes nouvellement immigrées. Un dernier mot sur l’indexation du RRQ/RPC Les personnes à la retraite et les autres bénéficiaires des rentes du RRQ/RPC (invalides, conjoints survivants, orphelins) devraient pouvoir participer pleinement à la croissance économique générale. Il faudrait alors indexer toutes les rentes déjà acquises à la RHM plutôt qu’à l’indice des rentes basé sur l’IPC. Le RRQ et le RPC sont des assurances sociales dont l’objectif est de permettre à la grande majorité des personnes qui ont gagné leur vie en travaillant pendant 35 à 47 ans de maintenir leur niveau de vie après la retraite. Ces régimes devraient être le pilier du système de retraite comme le sont des régimes comparables dans les pays européens. Au lieu de cela, ils en sont plutôt le cousin pauvre. Au Québec, le RRQ ne représente que 15 % du revenu des hommes âgés de 65 ans ou plus et 18 % de celui des femmes[3]. Les gouvernements provinciaux (hormis celui de Québec) et le gouvernement fédéral viennent d’adopter une amélioration plutôt modeste du RPC, ce qui devrait renforcer son rôle à terme. Le gouvernement du Québec doit encore prendre une décision quant à l’amélioration du RRQ. Indexer correctement les rentes versées contribuerait aussi à permettre à ces régimes d’assurance sociale de mieux jouer leur rôle.
[1] Analyse de l’auteur de la croissance des composantes de l’IPC. CANSIM tableau 326-0020 [2] Calculé à partir du tableau «Nombre de personnes recevant des prestations de la sécurité de la vieillesse, selon la province et le type», disponible sur le site [ouvert.canada.ca/data/fr]. Ces chiffres ne comprennent pas 73 632 personnes âgées de 60 à 64 ans recevant l’Allocation de conjoint ou de survivant, programmes rattachés au SRG. [3] Calculé à partir d’Agence du revenu du Canada, 2016, op. cit. [1] Emploi et développement social Canada, Tableau des montants des prestations, Pension de la sécurité de la vieillesse, Supplément de revenu garanti, Allocation, Allocation au survivant, en vigueur d’avril à juin 2017. [2] Retraite Québec, Statistiques 2016, Régime de rentes du Québec, estimé à partir du tableau 33 et le taux d’indexation de 1,4% applicable entre 2016 et 2017 pour l’ensemble des prestations. [3] Calculé à partir d’Agence du revenu du Canada, Statistiques sur le revenu 2016 (année d’imposition 2014), Tableau 4 final. [4] Comité d’experts sur l’avenir du système de retraite québécois, Innover pour pérenniser le système de retraite, 2013, Gouvernement du Québec, p. 49. [5] Calculs de l’auteure. En 1966, lors de la création des trois régimes actuels, l’indexation était limitée à 2% par année avec un rattrapage de 12,5% à partir de 1976. Ce n’est qu’en 1988 que les règles actuelles de l’indexation ont été appliquées, d’où le choix de 1988 comme point de comparaison. [6] La période 2002 à 2015 est utilisée parce que ce sont les années pour lesquelles la MPC est disponible et parce que c’est la période utilisée par monsieur Michaud-Beaudry dans son article.