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Le projet de loi 57 : dommages collatéraux en vue

Par Michel Lizée, économiste retraité, Service aux collectivités, UQÀM Le projet de loi 57 visant à modifier le financement des régimes de retraite à prestations déterminées a reçu un bon accueil autant de la part du patronat que des syndicats. Ce projet reprend les conclusions des travaux menés par les parties au sein du Comité consultatif du travail et de la main d'œuvre (CCTM). Son objectif principal : stabiliser la cotisation patronale grâce à l’élimination de l’obligation de financer le déficit de solvabilité et l’introduction d’un fonds de stabilisation. Les syndicats nourrissent l’espoir que cette stabilisation de la cotisation patronale assurera la pérennité des régimes à prestations déterminées. Lorsqu’un régime est en déficit de solvabilité, l’élimination de l’obligation de financer ce déficit dans la Loi sur les régimes complémentaires de retraite entraînera des dommages collatéraux pour deux catégories de participants : les travailleurs et les retraités d’un régime dont le promoteur fait faillite, et le participant qui cesse sa participation et souhaite transférer la valeur de ses droits dans un autre régime. Toutefois, il est possible de corriger ces dommages collatéraux sans empêcher l’atteinte des objectifs souhaités par les parties. Des régimes fragilisés si le promoteur fait faillite L’élimination de l’obligation de financer un déficit de solvabilité fragilisera les régimes lors d’une terminaison de régime lorsque l’employeur se retrouve insolvable ou pire, en faillite. Nous revivrons alors des situations où participants et retraités se font couper 20, 30 ou 40 % de leurs rentes. Pensons au lourd prix payé par les retraités d’Aleris, de Produits forestiers Résolu ou de Papiers White Birch par exemple. Si l’obligation de financer des déficits de solvabilité était maintenue, leur situation serait nettement moins pire. Une façon d’atténuer le contrecoup de ce changement sur les travailleurs et les retraités serait de rendre permanent le mécanisme permettant la prise en charge du versement des rentes par la Régie des rentes jusqu’à concurrence de 10 ans lorsque leur régime se termine dans un contexte d’insolvabilité ou de faillite. Ce mécanisme, adopté en 2009 par le gouvernement libéral, est prévu aux articles 230.0.0.1 et suivants de la Loi. Des travailleurs et retraités de certaines papetières se sont prévalus de ce mécanisme. Selon nos informations, le tout aurait plutôt bien fonctionné. Au début, la rente est réduite en fonction du degré de solvabilité du régime. Le pari est qu’avec le temps, la conjoncture économique s’améliorera afin de permettre progressivement de rehausser le niveau des rentes grâce aux rendements obtenus. Si, durant les 10 ans, le taux de solvabilité remonte à 100%, la Régie achètera des rentes viagères auprès d’assureurs et les retraités recevraient alors 100% de leurs droits. Si le 100% n’est pas atteint au bout de 10 ans, des rentes viagères seront achetées, avec un taux probablement supérieur à celui qui aurait été appliqué si les pertes lors de la terminaison avaient été cristallisées immédiatement. Une perte de droits acquis pour les participants qui cessent leur participation et veulent transférer leurs actifs dans un autre régime Lorsqu’un participant cesse sa participation à son régime pour une raison autre que la retraite, il a le choix de laisser son argent dans le régime en vue de recevoir une rente différée ou de demander le transfert de la valeur de sa rente dans le régime de son choix (un compte de retraite immobilisé le plus souvent). Actuellement, si le régime est solvable à 87% par exemple (le taux moyen de solvabilité dans le secteur privé au 31 décembre 2014 selon la Régie des rentes) et que la personne choisit un transfert, le régime a l’obligation de lui verser 87% de la valeur de sa rente et de lui verser les 13% manquants avec intérêts au plus tard dans 5 ans. Le projet de loi 57 supprime cette protection. Si le régime est solvable à 87% et que la personne choisit un transfert, elle aura droit à 87% de la valeur de sa rente, ce qui équivaut à une perte de droits acquis de 13%. Mais si le taux de solvabilité est supérieur à 100%, 110% par exemple, la Loi prévoit que le régime lui rembourse la valeur de ses droits à 100% et empoche le 10% de surplus. Il y aurait trois façons d’atténuer cette perte de droits acquis :
  • Revenir au statu quo ;
  • Prévoir dans la Loi que le remboursement de la différence se fera, mais seulement au moment où le surplus actuariel aura atteint le niveau minimum prévu à l’article 146.6, en donnant préséance au remboursement de la dette due à ces anciens participants avant toute autre utilisation des surplus, une proposition qui respecterait l’esprit du projet de loi 57 ;
  • Partager les risques, mais aussi les gains : prévoir que le participant qui choisit le transfert aura droit à la valeur de sa rente multipliée par le taux de solvabilité, peu importe que le régime soit en déficit ou en surplus. Cette mesure est déjà en place pour les régimes de retraite par financement salarial, les régimes de retraite à prestations cibles de certaines entreprises du secteur des pâtes et papiers et les régimes à cotisation négociée.
Garantir des droits au moins équivalents à la situation actuelle Certaines organisations syndicales ont manifesté leur satisfaction que le projet de loi 57 ne réduirait pas les droits acquis. Il devrait être possible de le bonifier afin d’en réduire les dommages collatéraux. Il est important que les organisations syndicales interviennent pour s’assurer que la version finale du projet de loi garantisse une protection au moins équivalente à la situation actuelle pour les travailleurs et retraités dont l’employeur fait faillite, ainsi que pour les participants qui souhaitent transférer la valeur de leurs droits dans un autre régime. Sinon, il faudra conclure que nous venons d’accepter collectivement une réduction des droits acquis.