Retour

Le RVER et l'enjeu de la cotisation

Par Riel Michaud-Beaudry, Observatoire de la retraite

Au Québec et au Canada, les gouvernements et les institutions financières insistent sur l’importance d’épargner pour assurer le maintien de la qualité de vie à la retraite. À cet effet, différents produits, incitatifs et dispositifs pour stimuler l’épargne-retraite ont été mis de l’avant, le plus souvent encadrés ou appuyés par des politiques fiscales. Le Régime volontaire d’épargne-retraite (RVER) constitue un exemple récent d’initiative gouvernementale allant en ce sens. Comme dans le cas des autres mesures favorisant l’épargne-retraite, il est important de pouvoir juger de l’efficacité du RVER quant à sa capacité à améliorer le niveau de couverture financière à la retraite au Québec.

En attendant d’obtenir un portrait étoffé des performances du RVER, il importe d’approfondir les connaissances sur les orientations institutionnelles qui ont mené à son adoption. Alors que nous avons présenté, dans le bulletin précédent, les caractéristiques générales des régimes à adhésion automatique, régimes dont fait partie le RVER, le présent bulletin compare ce régime à des équivalents ailleurs dans le monde. Cette approche comparative a pour but de mettre en évidence les choix qui ont été faits par le gouvernement du Québec quant aux caractéristiques fiscales du RVER.

Employeurs, gouvernements et RVER

Le partage des risques et des cotisations entre employeurs et employés est au cœur du système de retraite québécois et canadien. Alors que le premier palier, le Programme de la sécurité de la vieillesse, est financé par les taxes et impôts des particuliers et des entreprises canadiennes, le Régime des rentes du Québec (RRQ) et le Régime de pension du Canada (RPC), le deuxième palier, sont financés à parts égales par les employeurs et les employés. Les régimes complémentaires de retraite (RCR), formant une partie du troisième pilier, sont généralement financés par les employeurs et les employés.

Or, la donne a changé avec le RVER. La reprise économique incertaine suite à la crise financière de 2008 et l’augmentation des cotisations pour la bonification du Régime des rentes du Québec et du Régime de pension du Canada sont les principales raisons évoquées pour ne pas imposer de cotisations obligatoires aux employeurs offrant des régimes à adhésion automatique à leurs employés[1]. Si les syndicats et l’Institut canadien des actuaires ont soulevé l’anomalie de l’absence de cotisations d’employeurs au RVER par rapport à d’autres types de régimes, le Conseil du patronat, par exemple, soulignait l’avantage de cette particularité pour le succès de l’implantation des RVER[2][3][4].

En plus de se démarquer de ce qui se fait dans le cadre québécois et canadien, les RVER, en n’impliquant pas les employeurs dans leur financement, sont différents des modèles du Royaume-Uni et de la Nouvelle-Zélande. Comme au Québec, les régimes à adhésion automatique sont offerts si un employeur ne propose pas un régime de retraite équivalent ou approuvé (voir tableau 1). Si les expériences de régimes à adhésion automatique aux États-Unis existent, les employeurs ne sont pas tenus d’y faire adhérer leurs employés. D’autres pays ayant un système de retraite différent, mais ayant offert l’adhésion automatique à tous les employés comme la Turquie, la Pologne, l’Italie et la Suède, entre autres, requièrent la participation financière des employeurs et/ou de l’État[5][6][7].

Les cotisations supplémentaires que versent l’État et les employeurs de ces pays permettent d’améliorer le taux de couverture : 77 % des adhérents au régime de retraite à adhésion automatique de la Nouvelle-Zélande, le KiwiSaver, mentionnaient que ces cotisations étaient une motivation importante à ne pas se retirer du régime.

Les cotisations d’employeurs au régime de retraite ne font généralement pas diminuer les salaires ou les autres avantages sociaux que peuvent recevoir les employés[8]. En effet, lorsque sondés sur les stratégies utilisées ou à être utilisées concernant la hausse des coûts suite à l’implantation des régimes à adhésion automatique, les employeurs du Royaume-Uni ont principalement mentionné qu’ils absorberaient ces coûts dans les frais généraux ou réduiraient leurs profits[9]. En somme, parmi les juridictions survolées ayant rendu obligatoire la participation à un régime à adhésion automatique à la portion de la population active n’étant pas déjà couverte par un régime complémentaire de retraite, le Québec se démarque en laissant les cotisants se constituer seuls un patrimoine, qui s’avère généralement insuffisant pour assurer une retraite décente.

Les travailleurs à faible revenu et le RVER

Les travailleurs à faible revenu étant les moins couverts par un régime complémentaire de retraite, ils sont plus susceptibles d’adhérer à un RVER[10]. Pourtant, celui-ci est peu attirant pour eux, car les retraits, une fois à la retraite, font diminuer les montants issus du Supplément de revenu garanti (SRG). Or, ce sont précisément les travailleurs à faible revenu qui ont le plus de chances de percevoir un revenu issu du SRG[11]. Ainsi, concernant les prestations des régimes publics variant en fonction du revenu de retraite, comme le SRG, le Royaume-Uni a diminué le taux de récupération du revenu de ces programmes[12]. La Nouvelle-Zélande a instauré une pension universelle ne variant pas selon le revenu, assurant ainsi à tous les retraités que leur épargne accumulée ne ferait pas diminuer leurs prestations provenant des régimes publics[13].

Puisque les travailleurs à faible revenu sont fiscalement désavantagés lorsque vient le temps de récupérer leur épargne accumulée durant la vie active, qu’ils constituent en partie le segment de la population active visé par le RVER et que le SRG est un programme dont le gouvernement québécois n’a pas le contrôle, ce dernier pourrait financièrement soutenir les cotisations versées par les travailleurs à faible revenu. À cet égard, mentionnons que la Saskatchewan a innové en cette matière à la fin des années 1980. En effet, entre 1986 et 1992, le Saskatchewan Pension Plan, un régime multiemployeurs où ces derniers pouvaient y faire adhérer leurs employés, offrait notamment des cotisations gouvernementales jusqu’à 300 $ pour les personnes à faible revenu[14]. Cette initiative n’est pas isolée : d’autres pays encouragent la participation à leurs régimes à adhésion automatique par des cotisations gouvernementales suivant les cotisations des travailleurs[15]. La participation de l’État à la constitution d’un patrimoine personnel par des cotisations, en plus des cotisations des individus, semble être bénéfique à la fois pour les travailleurs à faible revenu et pour les travailleurs de la classe moyenne[16].

Conclusion

Ainsi, en plus d’une économie québécoise en croissance[17] qui pourrait permettre aux employeurs de cotiser, les expériences internationale et canadienne montrent que l’implication financière des employeurs et des gouvernements dans les régimes à adhésion automatique est répandue et souhaitable[18]. Ceci étant dit, puisque le paysage des régimes de retraite québécois actuel permet aux employeurs ne souhaitant pas cotiser au RVER de simplement migrer vers un REER collectif sans cotisations de leur part, il importe d’élargir la réflexion de la responsabilité des employeurs dans le financement de la retraite à l’ensemble du système de retraite. Cela nous semble particulièrement pertinent dans une situation de pénurie de main-d’œuvre dans certains domaines, où de bonnes conditions de retraite pourraient faire une différence. Cette réflexion prendra un tournant significatif lorsque les données pertinentes concernant l’efficacité du RVER seront disponibles, lesquelles pourront asseoir un débat public éclairé sur les meilleures manières d’améliorer la situation financière des personnes retraitées ne disposant pas d’un RCR.


[1] Ministère des Finances du Canada. (2011). Fiche d’information : Le contexte du système de revenu de retraite au Canada. Repéré à : https://www.fin.gc.ca/n11/data/11-119_1-fra.asp

[2] Centrale des syndicats démocratiques, mémoire déposé à la commission des finances publiques, Projet de loi no 39, Loi sur les régimes volontaires d’épargne-retraite, 2013

[3] Conseil du patronat du Québec, mémoire déposé à la commission des finances publiques, Projet de loi no 39, Loi sur les régimes volontaires d’épargne-retraite, 2013

[4] Institut canadien des actuaires, mémoire déposé à la commission des finances publiques, Projet de loi no 39, Loi sur les régimes volontaires d’épargne-retraite, 2013

[5] Rudolph, H., P. (2019). Pension Funds with Automatic Enrollment Schemes: Lessons for Emerging Economies. Policy research working paper 8726.

[6] Khambhaita, P. (2017). Who pays the piper: An international comparison of employer and employee contributions to DC pensions. Pensions Policy Institute

[7] Marier, P. (2010). Improving Canada’s Retirement Saving: Lessons from Abroad, Ideas from Home, IRPP Study, 9

[8] Butrica, B.A., Karamcheva, N.S. (2015) Automatic enrollment, employer match rates, and employee compensation in 401(k) plans, Monthly Labor Review

[9] Department for Work and pensions. (2016). Employers’ Pension Provision survey 2015. Repéré à https://assets.publishing.service.gov.uk/government/uploads/system/uploads/attachment_data/file/584593/rr919-employers-pension-provision-2015.pdf

[10] Retraite Québec, Constats et enjeux concernant le système de retraite québécois, 2010

[11] Sharanjit Uppal, Ted Wannell et Edouard Imbeau, Parcours menant au Supplément de revenu garanti, Statistiques Canada, Revue Perspective, août 2009

[12] OCDE (2012), OECD Pensions Outlook 2012, OECD Publishing

[13] OCDE (2012), OECD Pensions Outlook 2012, OECD Publishing

[14] Marier, P. (2010). Improving Canada’s Retirement Saving: Lessons from Abroad, Ideas from Home, IRPP Study, 9

[15] Peksevim, S. et V. Akgiray. (2019). Reforming the Pension System in Turkey: Comparison of Mandatory and Auto-Enrolment Pension Systems in Selected OECD Countries. Repéré à :www.oecd.org/pensions/Reforming-the-Pension-System-in-Turkey-2019.pdf.

[16] OCDE. (2018). Financial Incentives and Retirement Savings. Repéré à: https://read.oecd-ilibrary.org/finance-and-investment/financial-incentives-and-retirement-savings_9789264306929-en#page4

[17] Pinsonneault, M., Québec : Essor soutenu des investissements des entreprises au T2, Banque Nationale du Canada, Nouvelles économiques, 25 septembre 2018

[18] OCDE (2014), OECD Pensions Outlook 2014, OECD Publishing