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Le RREGOP : une logique financière particulière

Par Robert Poirier, doctorant en administration publique, ÉNAP (Extrait du bulletin #3 - Le Savant et la politique) Le Régime de retraite des employés du gouvernement du Québec et des organismes publics, (RREGOP), est le régime de retraite à prestations déterminées qui regroupe le plus grand nombre de participants au Québec et, selon ce même critère, l’un des plus importants au Canada. D’autres caractéristiques sont moins connues. D’une part, il y a la mécanique singulière de partage des coûts du régime. D’autre part, le financement de la part employeur du coût de ce régime se fait non par des cotisations dans une caisse fiduciaire de retraite, propriété du régime de retraite, mais par des versements dans un fonds sous autorité gouvernementale, le Fonds d’amortissement des régimes de retraite (FARR). Le RREGOP, au cœur de l’histoire des régimes de retraite du secteur public au Québec Le RREGOP a été créé en 1973 pour remplacer deux régimes de retraite mis en place à la fin du 19e siècle, soit le Régime de retraite des fonctionnaires, instauré en 1876, et le Régime de retraite des enseignants, créé en 1880. Au moment de sa création, le gouvernement visait le regroupement de tous les employés de l’administration publique sous un même régime en fermant les plus anciens[1]. Cet objectif a par la suite été révisé avec, notamment, l’établissement du Régime de retraite du personnel d’encadrement (RRPE) en 2001. Comme les deux régimes de retraite qui l’ont précédé, le RREGOP est un régime à prestations déterminées. Ce type de régimes peut se décrire comme un mécanisme d’épargne où ce sont les paramètres de prestations qui sont déterminés en premier, suivi de l’estimation des cotisations nécessaires à leur paiement. Les cotisations sont généralement accumulées pour financer le paiement des prestations. L’accumulation de ces cotisations se matérialise sous la forme de placements dans une caisse de retraite, permettant ainsi d’en tirer un rendement financier. Par opposition, si les montants de cotisations des régimes avaient été fixés en tout premier lieu, les régimes auraient été qualifiés de régimes à cotisations déterminées. Par contre, la création du RREGOP coïncidait avec un changement important dans le partage de la responsabilité du financement des régimes de retraite du secteur public. À ce changement s’ajoute aussi celui de leur comptabilisation dans les états financiers du gouvernement. Le RREGOP ne prévoit pas les mêmes modalités de partage du financement que celles des plus vieux régimes fermés en 1973. Ces derniers impliquaient un financement dit ‘à solde du coût’, c’est-à-dire que l’employeur gouvernemental prenait en charge la responsabilité complète du financement, pour ensuite la réduire des montants de cotisations reçus des employés. Dans les faits, ces montants de cotisation sont habituellement calculés à partir de taux négociés entre l’employeur et les employés, et ne dépendent donc pas directement de l’évaluation de la situation financière des régimes concernés. Pour sa part, un régime à coûts partagés comme celui du RREGOP établit préalablement la répartition de la responsabilité de financement. Les dispositions législatives et réglementaires du RREGOP spécifient ainsi dans quelles proportions le paiement des prestations de retraite sera assumé par l’employeur et par les employés. La proportion du financement assumée par le gouvernement dans le cadre du RREGOP n’a pas toujours été la même. Ainsi, avant le 1er juillet 1982, cette proportion s'établissait à 7/12 du montant total de prestations à payer. Depuis cette date, la proportion a été fixée à la moitié. Ce qui veut dire par exemple que si la valeur des prestations est augmentée, la moitié du montant de la hausse est assumée par le gouvernement à titre d’employeur, tandis que l’autre moitié relève des employés. La création du RREGOP a aussi été un point charnière en matière de comptabilisation des régimes de retraite. Ainsi, avant 1973, les deux régimes de retraite existants étaient comptabilisés sans que le gouvernement ne prenne d’engagements financiers pour la partie correspondante à sa contribution d’employeur. De plus, les cotisations des participants étaient déposées dans les coffres du gouvernement : aucune caisse de retraite ne permettait jusqu’alors l’accumulation de l‘épargne-retraite. Cela correspondait à un financement appelé par répartition. Avec le RREGOP, est instituée une caisse de retraite permettant aux cotisations des participants du régime d’être déposées à la Caisse de dépôt et placement. Quant au gouvernement, il commença à inscrire à son passif les engagements comptables correspondant à sa contribution comme employeur. Puis, 20 ans plus tard, il créa le Fonds d’amortissement des régimes de retraite (FARR) pour y déposer des sommes devant servir au paiement de ses engagements à l’égard de la retraite de ses employés. La particularité du partage des coûts au RREGOP Le fait de définir des proportions quant au partage des responsabilités financières entre l’employeur et les employés permet de caractériser un régime de retraite à coûts partagés mais ne suffit pas à l’opérationnaliser. Ainsi, il faut aussi considérer les modalités de calcul du partage des coûts. Une première modalité implique d’effectuer le partage au moment du paiement des prestations alors qu’une modalité alternative précise le partage dès le moment de l’opération de financement dans une caisse de retraite, en ajustant les cotisations de l’employeur et celles des employés en conséquence. Le RREGOP est probablement le cas le plus représentatif d’un régime de retraite prévoyant le partage des responsabilités entre l’employeur et les employés au moment du paiement des prestations. Qu’arrive-t-il alors au financement anticipé de ces prestations? Puisque seul le paiement des prestations fait l’objet du partage, cela ouvre la porte à des stratégies différentes de financement de l’employeur et des employés. C’est ce qui a d’ailleurs été constaté à l’égard du RREGOP, les employés ayant l’obligation légale de cotiser dans une caisse de retraite alors que l’employeur pouvait déployer une stratégie sans financement entre 1973 et 1993, date de création du FARR. L’autre modalité de partage des responsabilités financières entre l’employeur et les employés, soit celle appelée par capitalisation, fait dépendre le financement d’une caisse de retraite, comme c’est le cas de la Loi sur les régimes complémentaires de retraite. Le financement s’opérationnalise par le partage des montants de cotisations à déposer dans la caisse de retraite. Au moment du paiement des prestations, la somme nécessaire est y prélevée. Le financement par le FARR : une logique financière particulière Le FARR n’est pas une caisse de retraite au sens habituel dans le milieu de la retraite. Selon les propres termes du ministère des Finances, il est plutôt qualifié de « […] réserve liquide qui pourra éventuellement être utilisée pour payer les prestations des régimes de retraite des employés des secteurs public et parapublic »[2]. Cette réserve, qui n’a pas de statut fiduciaire, n’est pas sujette à la même gouvernance qu’une caisse de retraite. Ainsi, ce n’est pas le comité de retraite qui en est responsable mais le gouvernement du Québec. C’est ce dernier qui décide de la politique de placement et qui se garde le privilège de choisir le moment et le montant des dépôts dans le FARR, en plus de décider de son usage quant aux paiements des prestations. Dans les faits, la gouvernance du FARR est définie en premier lieu par l’article 8 de la Loi sur l’administration financière[3]. En plus de permettre sa création, cet article précise que le FARR est une option offerte au ministre des Finances pour déposer les sommes qui serviront à financer par anticipation les montants de prestations que le gouvernement devra éventuellement assumer comme employeur. En décembre 1999, une politique d’accélération de dépôts est venue préciser que le gouvernement se fixait l’objectif d’avoir accumulé, après vingt ans, une valeur au FARR correspondante à 70 % des prestations éventuelles à sa charge. La conséquence est importante au regard des risques que doivent supporter les participants au RREGOP. L’intérêt dans un régime à prestations déterminées de prévoir une caisse de retraite est d’offrir aux participants la garantie financière que le paiement des prestations ne dépendra pas de la situation financière conjoncturelle de l’employeur. Sur ce plan, le FARR ne répond que partiellement à l’objectif de capitalisation. Le solde de ce fonds ne représente qu’une proportion des prestations éventuelles à débourser par le gouvernement, même lorsque la cible de 70 % sera atteinte. De plus, le FARR n’a pas de statut fiduciaire. Les sommes qui y sont accumulés ne sont pas la propriété des participants du RREGOP et le gouvernement peut, en modifiant la loi, changer l’usage initialement dédié à la retraite. [1] Ce commentaire fait abstraction du Régime de retraite des membres de la Sûreté du Québec, créé en 1971. [2] Ministère des Finances. Rapport annuel 1999-2000, pages 25 et 26. [3] L.R.Q., chapitre A-6.001.