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Le système de retraite britannique et le dialogue social

Par Riel Michaud-Beaudry, Observatoire de la retraite

Après avoir présenté, dans le bulletin précédent, un bref portrait des institutions soutenant le dialogue social autour de la retraite en France, nous portons ici notre regard du côté du Royaume-Uni. Dans le système de retraite de ce pays, où l’épargne individuelle et la gestion personnelle du patrimoine financier sont très importantes, les institutions d’encadrement de la retraite suscitent peu le dialogue social. Tout comme le précédent bulletin, l’objectif est d’améliorer notre connaissance des modèles nationaux de la retraite ainsi que des innovations institutionnelles susceptibles d’améliorer le dialogue social et la sécurité financière des personnes retraitées.

Un aperçu du système de retraite britannique

Le système britannique de retraite ne date pas d’hier. Si des régimes de retraite existaient déjà au 19e siècle[1], il a fallu attendre le Old-Age Pensions Act de 1908 pour que tous les individus âgés de plus de 70 ans reçoivent une pension[2]. Ce système est, à l’image de celui du Québec et du Canada, structuré en trois niveaux. Le premier étage est composé de la Pension Credit, disponible pour les personnes âgées à faible revenu. Les montants reçus par la Pension Credit sont modulés selon les revenus issus des prestations gouvernementales, des rentes, des avoirs accumulés et de la valeur des propriétés de l’individu ou du couple[3]. Pour les personnes étant retraitées depuis le 6 avril 2016, le maximum hebdomadaire pouvant être reçu de cet étage est de 163 £[4] pour les personnes seules et 248,80 £ pour les couples. Les personnes prenant soin d’un enfant ou vivant avec des incapacités peuvent espérer un montant plus élevé[5].

Le deuxième étage est composé de la new State Pension (nSP) qui offre un revenu à tous les retraités, basé sur le nombre d’années de cotisations à la National Insurance. Le montant maximal est de 164, 35 £ par semaine, montant que l’on peut toucher après trente-cinq années de cotisations[6]. Cependant, pour recevoir un montant, il faut avoir cotisé pendant un minimum de dix années pendant lesquelles il y eut des cotisations par un travail rémunéré, des cotisations volontaires ou des périodes de chômage, de maladie ou de soins à un proche ou un enfant. Les rentes provenant de la nSP augmentent annuellement selon le plus élevé des trois paramètres suivants : l’augmentation moyenne des salaires au Royaume-Uni, l’indice des prix à la consommation ou 2,5 %[7].

Le troisième étage du système de retraite du Royaume-Uni est composé des régimes d’employeurs et de l’épargne individuelle confiée au secteur de la finance. En plus des régimes complémentaires de retraite à prestations déterminées ou à cotisations déterminées offerts dans certains milieux de travail, les employeurs n’offrant pas de tels régimes doivent automatiquement inscrire leurs employés, sous certaines conditions, à un régime à adhésion automatique où employeurs et employés cotisent selon les paramètres déterminés dans le Pensions Act 2008. Ces régimes multi-employeurs, les Master Trust, dont fait partie l’option à but non lucratif National Employment Savings Trust (NEST) mise en place par le gouvernement, doivent être enregistrés auprès du Pensions Regulator, une agence gouvernementale. Ces régimes doivent aussi se conformer à une série de règlements. Les travailleurs répondant aux conditions d’adhésion comme l’âge et le salaire annuel doivent y verser 4 % de leur salaire brut, l’employeur 3 % et le gouvernement 1 % en incitatif fiscal, ce qui élève à 8 % le taux de cotisation total[8]. Dernièrement, quelques programmes comme stakeholder pensions ou self-invested personal pensions permettent aux individus d’épargner davantage en vue de la retraite tout en bénéficiant d’incitatifs fiscaux, que ce soit de leur propre chef ou en tant qu’employés, à l’image des REERs individuels ou collectifs. Depuis 2015, les sommes investies dans des régimes à cotisations déterminées peuvent être retirées dès 55 ans[9].

Parmi les réformes ayant récemment modifié le portrait de la retraite au Royaume-Uni, en plus des régimes à adhésion automatiques introduits par le Pensions Act 2008, il faut mentionner :

  • L’âge de la retraite, qui est actuellement de 65 ans, passera à 66 ans en 2020 et graduellement à 68 ans en 2037-2038.
  • Depuis avril 2016, la new State Pension (deuxième étage) remplace l’ancien deuxième étage composé de deux types de rentes (la basic State Pension et les additional State Pension) et diminue l’importance de la Pension Credit (premier étage) pour clarifier le système de pension et diminuer l’importance des programmes modulant les prestations selon les revenus. Puisque ces derniers sont moins importants, cela accroît l’intérêt à épargner durant la vie active[10].
  • Les travailleurs qui pouvaient se soustraire au additional State Pension s’ils participaient à un régime d’employeur (contracted-out) ne le peuvent plus[11]. Les travailleurs cotiseront donc désormais le plein montant au système National Insurance même s’il existe un régime d’employeur sur leurs lieux de travail[12].

Les institutions encadrant le système de retraite

Les enjeux et les réalités de la retraite au Royaume-Uni sont discutés à travers quelques dispositifs de dialogue social dont plusieurs s’apparentent à ceux que l’on retrouve au Québec et au Canada. À ce titre, on retrouve d’abord les employés et les employeurs négocier ensemble lors des négociations collectives qui déterminent les dispositions des régimes de retraite. Ensuite, les conseils des régimes de retraite du secteur public doivent être composés de représentants des employeurs et des employés en nombre égal[13]. Le rôle de ces conseils est d’assister le gestionnaire du régime et de veiller à ce que le régime soit conforme en matière de gouvernance et d’administration[14]. Par ailleurs, deux comités consultatifs de NEST ont été institués et sont composés de représentants d’employeurs pour l’un et de représentants de participants pour l’autre[15]. Enfin, les consultations publiques sur des projets de réforme sont l’occasion pour les organisations de la société civile de faire valoir leurs points de vue. Les entreprises du secteur financier et les promoteurs de services-conseils (gestion, ressources humaines, droit, actuariat, etc.) participent à l’élaboration des politiques publiques en ayant largement participé aux trois consultations publiques qui se sont déroulées au Parlement britannique depuis 2008 (voir tableau 1).

On peut penser que la grande place des régimes volontaires dans le système de retraite du Royaume-Uni favorise l’importance des services-conseils au détriment des représentants des participants et des employeurs, qui peuvent s’impliquer uniquement sein de quelques instances de concertation ou de décision. Cependant, de grandes associations nationales de retraités font entendre leurs voix, comme la National Pensioners Convention ou le International Consortium of British Pensioners. Alors que la première parle au nom de tous les retraités, la deuxième parle au nom des Britanniques expatriés.

Au fil des années, la société britannique a mis en place différentes institutions visant à favoriser la santé financière à la retraite en influençant et en encadrant le fonctionnement des régimes privés (voir figure 1). Le Department for Work and Pensions a pour champs de compétences les questions d’emploi, de rentes, d’invalidité, d’aidant naturel, de soutien financier aux familles et de pauvreté. Ce ministère a aussi une quinzaine d’organisations publiques sous son égide, dont le NEST, le Pension Protection Fund, le Pensions Ombudsman, le Single Financial Guidance Body et le Pensions Regulator.

Afin de veiller à la conformité réglementaire des régimes complémentaires de retraite et d’éviter des situations d’insolvabilité, le Pensions Regulator s’assure principalement que l’ensemble des employés y adhèrent et que les cotisations y soient déposées en plus de protéger ces actifs et d’améliorer la gestion des régimes[1]. Cet organisme fournit également des directives et conseils aux fiduciaires des caisses de retraite[2]. Dans les cas d’insolvabilité des régimes complémentaires de retraite à prestations déterminées, les rentes des personnes y ayant cotisé sont protégées par le Pensions Protection Fund. Cette organisation publique est financée par des prélèvements des régimes admissibles comme le ferait une compagnie d’assurance et honore les obligations des régimes insolvables en plus d’indexer ces rentes à un maximum de 2,5 %[3].

Les personnes insatisfaites par des décisions rendues en matière de pension peuvent se tourner vers le Pensions Ombudsman afin d’obtenir une décision leur convenant davantage. Également, le NEST a été créé afin d’offrir l’option de régimes à adhésion automatique à faible coût, encourageant les compétiteurs à s’aligner sur ses prix[4]. L’État britannique a donc mis sur pied un système institutionnel complexe afin d’encadrer et de réguler le marché des caisses de retraite et des régimes privés à adhésion automatique.

Afin d’obtenir un portrait plus large des institutions impliquées dans le système de retraite du Royaume-Uni, deux autres organisations doivent être mentionnées. D’abord, le Single Financial Guidance Body informe les citoyens en matière de protection des consommateurs, d’éducation financière, de rentes et de régimes complémentaires de retraite. Cette agence est financée par le secteur financier mais est sous l’égide du Department for Work and Pensions [1].

Ensuite, depuis 2001, un organisme à but non lucratif indépendant fournit des informations à la population lors de débats publics en matière de retraite. Le Pensions Policy Institute a notamment pour objectif de produire de l’information et des analyses portant sur le remplacement du revenu des Britanniques[2]. Ainsi, plusieurs organisations distinctes contribuent à la santé financière des retraités britanniques actuels et futurs en encadrant et soutenant les régimes ainsi que les individus.

Conclusion

Les partenaires sociaux sont, dans l’ensemble, peu représentés dans les organisations qui contribuent au fonctionnement du système de retraite du Royaume-Uni. Ce dernier est principalement centré sur les régimes privés, qu’il s’agisse de régimes d’employeurs, de régimes multi-employeurs (master Trusts) ou d’épargne personnelle.

De plus, alors qu’on aurait pu les attendre en grand nombre dans les consultations publiques sur des projets de réforme de la retraite, les représentants d’employeurs et d’employés sont plutôt effacés en regard de l’intervention des acteurs privés du secteur financier et des services-conseils dans le domaine de la retraite. Ces deux types d’acteurs ayant parfois des intérêts ou visions opposées, les parlementaires et les institutions publiques se retrouvent donc avec un lourd fardeau quant aux responsabilités à l’égard du système de retraite comme celui de protéger le public, comme il en va au Québec et au Canada. À titre comparatif, plusieurs responsabilités assumées par Retraite Québec comme la surveillance des régimes d’employeurs, l’analyse du système de retraite et l’information du public sont réparties au sein de différentes organisations dans le paysage institutionnel du Royaume-Uni. Somme toute, le Royaume-Uni a organisé son système de retraite avec peu de place pour le dialogue social avec les représentants des participants. Les institutions indépendantes régulent plutôt différents segments d’un marché privé de la retraite.


[1] https://singlefinancialguidancebody.org.uk/

[2] https://www.pensionspolicyinstitute.org.uk/about-us/


[1] https://www.thepensionsregulator.gov.uk/en/about-us/what-tpr-does-and-who-we-are

[2] https://www.thepensionsregulator.gov.uk/en/document-library/regulatory-guidance/trustee-guidance

[3] https://www.ppf.co.uk/

[4] https://www.gov.uk/government/organisations/national-employment-savings-trust


[1] Par exemple, les infirmières, fonctionnaires, policiers, enseignants et employés de certaines entreprises comme celles des chemins de fer ou Reuters disposaient de régimes de retraite.

[2] https://www.telegraph.co.uk/finance/personalfinance/special-reports/11523196/A-turbulent-history-of-British-pensions-since-1874.html

[3] https://www.gov.uk/pension-credit

[4] Entre le 27 février 2018 et le 27 février 2019, une Livre sterling équivalait en moyenne à 1,72 CAD

[5] Pensions at a Glance 2017 : Country Profile – United Kingdom

[6] https://www.gov.uk/new-state-pension/how-its-calculated

[7] https://www.gov.uk/new-state-pension/how-its-calculated

[8] https://www.gov.uk/workplace-pensions/what-you-your-employer-and-the-government-pay

[9] https://www.gov.uk/government/news/pension-changes-2015

[10] Thurley, Djuna. The new State Pension-Background. House of Commons Library. Briefing Paper number SN-06525, 30 août 2016

[11] https://www.gov.uk/government/news/eight-things-you-need-to-know-about-pensions

[12] https://www.gov.uk/government/news/eight-things-you-need-to-know-about-pensions

[13] Public Service Pensions Act 2013: 5 (4) (c)

[14] The Pensions Regulator (2015) A quick guide to public service pension boards

[15] https://www.nestpensions.org.uk/schemeweb/nest/nestcorporation/who-runs-nest/employers-and-members-panel.html