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Retraite Québec et la restructuration des institutions publiques de la retraite

François L’Italien, Coordonnateur, Observatoire de la retraite

À l’occasion des consultations publiques portant sur le regroupement de la Commission administrative des régimes de retraite et d’assurances (CARRA) et de la Régie des rentes du Québec (RRQ) en une seule et même entité, Retraite Québec, plusieurs intervenants ont soulevé des doutes quant aux raisons évoquées par le ministre du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale pour justifier pareille fusion. Il faut en effet reconnaître que les deux principaux motifs mis de l’avant par le gouvernement pour expliquer ce regroupement, soit la création d’un pôle unifié d’expertise en matière de régimes de retraite et la réalisation d’économies récurrentes de 20 millions $, ont été loin de convaincre de l’existence d’une valeur ajoutée à l’exercice.

De plus, des questions importantes portant sur la mission institutionnelle de Retraite Québec, la qualité des services dispensés par la nouvelle entité, les ressources financières qui y seront dévolues, ainsi que sur la composition de son conseil d’administration ont été laissées sans réponses satisfaisantes. Dans tous les cas, la création de Retraite Québec agit en quelque sorte comme un « révélateur » du programme de restructuration en cours des institutions publiques au Québec.

Un organisme hybride

En dépit du fait qu’elles ont en commun l’administration publique de régimes de retraite, les missions institutionnelles de la CARRA et de la RRQ sont fort distinctes. Il faut en effet rappeler que la première constitue d’abord un centre de services mutualisés que l’État offre à ses employés. Elle a pour mandat principal d’administrer la plupart des régimes complémentaires de retraite du secteur public, dont le RREGOP, ainsi que tout autre régime de retraite ou d’assurance collective dont l’État lui confie la responsabilité. À ce titre, la CARRA est principalement axée sur le service aux prestataires : elle doit en effet veiller à ce que les participants aux régimes de retraite ou d’assurance, ainsi que leurs bénéficiaires, puissent obtenir tous les services et avantages auxquels ils ont droit.

La CARRA offre aussi des services techniques essentiels pour la gestion des régimes complémentaires de retraite. Le plus connu de ces services est l’évaluation actuarielle des régimes. En plus de baliser les stratégies de placement des fonds à la Caisse de dépôt et placement, ce service constitue, indirectement, un élément important dans la négociation collective des régimes de retraite des employés des secteurs public et parapublic. Grâce aux évaluations actuarielles, il est possible d’avoir l’heure juste sur l’état des régimes complémentaires offerts par le gouvernement, et de disposer d’un instrument d’évaluation des mesures gouvernementales proposées à l’égard de ces régimes. Ainsi, la dernière évaluation actuarielle par la CARRA faisait état d’un taux de capitalisation du RREGOP de 98,4 %, offrant ainsi un portrait financier beaucoup moins sombre de la viabilité du régime que ne l’a laissé croire le président du Conseil du trésor au cours des derniers mois.

Contrairement à la CARRA, qui s’adresse aux employés de l’État et relève d’une logique de relations de travail, la RRQ est un service public. Elle est en effet chargée d’administrer le Régime de rentes du Québec, ainsi que la mesure de Soutien aux enfants, soit deux politiques de solidarité sociale s’adressant virtuellement à tous les citoyens québécois. Pour être modifiées, ces mesures nécessitent d’être débattues à l’Assemblée nationale et amendées par des actes législatifs. Dans le cas du Régime de rentes du Québec, une consultation publique sur sa mise à jour, prévue au moins à tous les six ans, est lancée sur la base d’un document de consultation produit par la RRQ. Les matériaux fournit par cette dernière sont donc régulièrement impliqués dans les débats publics.

De plus, la RRQ est en quelque sorte l’autorité publique en matière de régimes complémentaires de retraite au Québec. Par le biais des pouvoirs qui lui sont conférés par la Loi sur les régimes complémentaires de retraite, la Régie a un rôle de surveillance de ces régimes. Les informations qu’elle collecte sur ces institutions de la retraite sont précieuses et utiles pour l’État, mais aussi pour la société québécoise. À cela s’est ajoutée, plus récemment, la tâche d’appliquer la Loi sur les régimes volontaires d’épargne-retraite, des régimes controversés dont la RRQ doit de surcroît faire une promotion institutionnelle active. Autrement dit, la RRQ constitue déjà un pôle d’expertise publique reconnue en matière de retraite, aussi bien sous l’angle des régimes structurés que sous celui de l’épargne-retraite individualisée.

Cela pose donc la question de la pertinence de la fusion : en quoi ce regroupement favorisera-t-il le développement d’une expertise qui existe déjà mais qui, faute de ressources financières, n’a pu mettre de l’avant les services qui l’auraient élevé d’un cran ? Qu’est-ce que l’expertise de la CARRA apportera de nouveau à ce pôle d’expertise public et ce, dans un contexte de coupures budgétaires ? De la même manière, en quoi cette fusion avec la RRQ permettra-t-elle à la CARRA d’offrir des services de meilleure qualité à ses prestataires au cours des prochaines années ? Quelle est la valeur ajoutée de cette opération pour la structuration des services ? Y aura-t-il un comité de suivi afin d’évaluer les effets de la transition sur les clientèles ?

Le fait que la RRQ et la CARRA aient des profils institutionnels distincts soulève des interrogations encore plus fondamentales sur l’avenir de Retraite Québec : dans quelle logique s’inscrira principalement cet organisme ? Sera-t-il d’abord considéré comme un service public ? En fonction de quelles balises seront arbitrées les priorités institutionnelles et l’allocation des ressources à l’interne ? Comment pourra-t-on évaluer les besoins de financement pour la réalisation de missions aussi différentes ? Le caractère hybride de cette institution ne compromettra-t-il pas l’innovation et le développement de services bien adaptés aux missions institutionnelles des deux composantes fusionnées ? Posées à un gouvernement qui restructure les institutions publiques afin d’en brouiller le sens et d’en affaiblir la portée, ces questions mettent en évidence le fait qu’il s’agit ici d’une sorte de bricolage institutionnel.

Un problème de représentativité

Enfin, il est un aspect important de la fusion qu’il est primordial de souligner ici, puisqu’il cristallise les ambiguïtés liées à cette opération : le changement des règles encadrant la « gouvernance » de Retraite Québec, et plus spécifiquement la composition du conseil d’administration. Outre le fait que le suivi fin et adapté de la mission respective des deux organismes fusionnés sera plus difficile en un seul conseil d’administration, deux problèmes liés à la composition du CA ressortent immédiatement : d’une part, un nombre élevé d’administrateurs désignés n’étant pas partie prenante des régimes gérés par la CARRA pourront prendre des décisions les affectant directement ; d’autre part, la présence notable de membres du CA désignés par le gouvernement n’est pas souhaitable pour un service public, dont l’administration doit par nature demeurer le plus loin possible des partis-pris idéologiques. Ces deux problèmes liés à la composition du conseil d’administration ne font que mieux faire ressortir les failles constitutives de cet organisme.

Conclusion

Un chameau, dit l’adage, est un cheval dessiné en comité. L’analyse des composantes de Retraite Québec semble aller en ce sens. Produit hybride d’un programme de restructuration en cours des institutions publiques, cet organisme aura fort à faire pour maintenir les services associés à une mission institutionnelle imprécise mais colossale. De plus, dans la mesure où les politiques d’austérité budgétaire ont été présentées par l’actuel gouvernement comme la « norme » en matière de financement des services publics, on peut raisonnablement douter que cet organisme bénéficiera des ressources financières appropriées pour mener à bien le vaste programme qui est le sien.